W. Cremer Une page d'histoire :
WILLIAM RANDAL CREMER

Cofondateur de l'Union interparlementaire avec Frédéric Passy (France)
Prix Nobel de la Paix (1828-1908)


La vie de Sir William Randal Cremer est de celles que marque profondément une brillante ascension sociale. Né en 1828 dans la misère, il quitta l'école à l'âge de 12 ans avec un maigre bagage scolaire pour travailler dans un chantier naval où il se fit très vite remarquer par ses exceptionnels talents d'organisateur. Il devint plus tard l'un des premiers représentants de la classe ouvrière au Parlement et l'un des dirigeants du mouvement pacifiste international né à la fin du XIXe siècle. Sa vie fut couronnée par l'un des tous premiers Prix Nobel de la Paix.

Randal Cremer (il n'utilisait pas le prénom William) est né de parents ouvriers dans une petite ville du Hampshire, en Angleterre. Peu de temps après sa naissance, son père abandonna la famille, laissant sa mère élever seule trois jeunes enfants dans le plus grand dénuement. A 15 ans, Cremer est apprenti charpentier et c'est en qualité de compagnon charpentier qu'il part pour Londres à l'âge de 24 ans afin d'y tenter sa chance. C'est dans le mouvement syndical, où ses talents de dirigeant furent très vite reconnus, qu'elle lui sourira. A l'âge de 30 ans, il prend part à la campagne en faveur de la journée de travail de neuf heures. Il devient ensuite l'un des dirigeants nationaux du syndicat des charpentiers et siège à la Chambre des métiers de Londres.

Aux côtés d'autres dirigeants ouvriers, Cremer fut associé à diverses campagnes sur les grandes questions internationales de l'époque : soutien aux Nordistes dans la guerre de sécession américaine et aux Polonais dans leur révolte contre la Russie, accueil en Angleterre de Garibaldi, héros du Risorgimento italien. Ces activités aboutirent à la création en 1864 de la Working Men's Peace Association à laquelle prirent part Karl Marx et d'autres socialistes d'Europe continentale. Elu Secrétaire honoraire en 1865, Cremer démissionna deux ans plus tard en déclarant que l'organisation était passée sous le contrôle d'"hommes plus soucieux de leurs 'ismes' que du combat pour un véritable progrès".

Il fut même candidat à la députation en 1868 mais échoua dans cette première tentative. Dans son programme électoral figure une revendication courante chez les militants pacifistes de l'époque : l'appel à la "création d'une ligue internationale d'arbitrage chargée de régler les différends entre les nations en vue d'aboutir au désarmement général et d'instaurer une ère de paix".

C'est la guerre franco-prussienne qui poussa Cremer à rallier la cause pacifiste. Le 21 juillet 1870, deux jours après l'ouverture des hostilités, se tint à Londres une réunion publique d'ouvriers opposés à toute intervention de la Grande-Bretagne dans le conflit. Un Workmen's Peace Committee se constitua dont Cremer fut désigné Secrétaire général. En décembre, le Comité se mua en Workmen's Peace Association dont l'objectif était de "plaider pour le règlement de tous les différends internationaux par l'arbitrage et pour la création d'une Haute Cour des Nations qui en serait chargée". En sa qualité de Secrétaire de l'association, Cremer demeura un militant pacifiste à plein temps jusqu'à la fin de ses jours. Il n'eut de cesse que ses propres activités pacifistes s'inscrivent dans une "action politique concrète".

Aussi fut-il à nouveau candidat à la députation en 1874, mais sans succès. Après que la loi de 1885 portant réforme électorale eut élargi le droit de vote à tous les hommes adultes, il emporta le siège de la circonscription d'Haggerston dans le East End de Londres et fit son entrée au Parlement à l'âge de 57 ans sous l'étiquette libérale, aux côtés de dix autres représentants de la classe ouvrière.

Cremer pouvait enfin inscrire son plaidoyer pour l'arbitrage dans une "action politique concrète" au sein du Parlement où il devint bientôt le "député de l'arbitrage". En 1898, la Workmen's Peace Association fut rebaptisée Ligue internationale d'Arbitrage et des représentants d'autres couches de la société vinrent en élargir l'assise. Cremer avait déjà commencé à oeuvrer au Parlement pour relancer l'idée déjà ancienne d'un traité d'arbitrage avec les Etats-Unis. En 1887, Cremer obtint que 232 parlementaires, soit un tiers des membres de la Chambre des Communes, apposent leurs signatures au bas de mémoires en faveur de la conclusion de pareil traité adressés au Président et au Congrès des Etats-Unis d'Amérique. Il se rendit alors à Washington à la tête d'une délégation pour présenter le mémoire au Président Grover Cleveland. Aucun traité n'en résulta mais le Congrès des Etats-Unis adopta des résolutions similaires dans les années qui suivirent.

Ces événements incitèrent des parlementaires français, sous la houlette de Frédéric Passy, militant pacifiste chevronné, à lancer une initiative semblable à la Chambre des Députés en faveur d'un traité d'arbitrage franco-américain. Cremer eut vent de cette initiative et écrivit à Passy pour lui proposer une réunion de parlementaires français et anglais. Il lui fit savoir que si Passy se chargeait de lancer une invitation, il se faisait fort de venir à Paris avec 200 parlementaires. Passy embrassa cette idée et écrivit à Cremer que l'événement serait de première ampleur même si n'étaient présents qu'une demi-douzaine de parlementaires. Lors d'une réunion préliminaire à laquelle prit part Cremer, les collègues de Passy décidèrent d'inviter tous les parlementaires signataires du mémoire adressé au Président Cleveland à une conférence sur les traités d'arbitrage anglo-français et anglo-américain qui se tiendrait à Paris.

Cette réunion eut lieu en octobre 1888. Cremer y était accompagné de huit collègues et non 200. Mais ce fut suffisant. Passy vint avec 25 députés et un sénateur et il présida la réunion. Ensemble, ils décidèrent d'organiser une réunion similaire l'année suivante en invitant cette fois des parlementaires d'autres pays dans l'espoir que l'Exposition universelle de Paris les inciterait à venir et en fixant la date de telle sorte que ceux qui devaient prendre part au Congrès universel de la Paix, prévu cette année-là, resteraient quelques jours de plus pour la conférence.

Même si l'on peut considérer cette réunion préliminaire de 1888 comme marquant la naissance de l'Union interparlementaire, ce n'est que lors de la Conférence tenue les 29 et 30 juin 1889 que fut créée l'organisation. Y prirent part 96 parlementaires de neuf pays , la majorité d'entre eux venant de France (55) et de Grande-Bretagne (28). Passy avait présidé le Congrès de la Paix et fut l'âme de la Conférence parlementaire de Paris, dont il présida les séances. Cremer veilla à ce que cette réunion se tint dans ce qu'il estimait être le lieu le plus approprié. Lorsqu'il se rendit à Paris quelques jours avant la Conférence pour mettre la dernière main aux arrangements pratiques, il fut surpris de la modestie de la salle qu'il avait réservée pour les réunions. Il se précipita aussitôt à l'Hôtel Continental, plus prestigieux, et grâce aux fonds de la Ligue internationale d'Arbitrage, il y réserva la salle des fêtes, qui passait pour l'une des plus belles de Paris. N'ayant matériellement pas le temps de prévenir les participants, Cremer fit placer devant le lieu de réunion prévu initialement des hommes munis de panneaux indiquant le nouveau lieu choisi pour la réunion.

L'ouverture de cette Conférence historique semble donc avoir été marquée par une certaine confusion quant au lieu qui devait l'abriter, mais il n'en demeure pas moins que la nouvelle institution est née dans un cadre prestigieux. Elle fut baptisée Conférence interparlementaire pour l'arbitrage, nom qui lui convenait fort bien car l'arbitrage en était le thème central et le sujet de la plupart des résolutions qui y furent adoptées.

S'il fallait de l'audace pour tenir pareille réunion, les participants firent aussi preuve d'une certaine prudence. La résolution la plus importante priait les gouvernements de conclure des traités par lesquels ils acceptaient de soumettre tous les différends à l'arbitrage sans toutefois "compromettre leur indépendance et sans tolérer la moindre ingérence dans leurs affaires intérieures". Ce n'est que plus tard que d'autres thèmes furent inscrits à l'ordre du jour et le nom initial demeura inchangé jusqu'en 1899, date à laquelle la Conférence fut rebaptisée officiellement Union interparlementaire. En 1892 fut créé à Berne le Bureau interparlementaire avec à sa tête un secrétaire général bénévole. C'est Cremer qui, avant sa mort en 1908, avait engagé le processus qui devait aboutir à la désignation de Christian Lange, premier Secrétaire général rémunéré, et à la consolidation de l'assise financière de l'organisation par Andrew Carnegie.

Les documents d'époque montrent que Cremer et Passy furent les co-fondateurs de l'Union interparlementaire. Le propriétaire terrien français issu d'un milieu aristocratique et le charpentier anglais d'origine humble formaient un couple mal assorti, mais le besoin impérieux qu'ils ressentaient d'instaurer une paix universelle les lia puissamment.

Cremer souhaitait ardemment le Prix Nobel, non pour l'argent, mais pour la consécration qu'il apportait. En avril 1903, Hodgson Pratt écrivit à Passy que Cremer ressentait comme une injustice le fait de n'avoir pas été choisi pour le Prix Nobel de la Paix en 1901 et 1902 et que, pour apaiser cette irritation, Pratt faisait campagne pour la nomination de Cremer.

En décembre 1903, on apprit que Cremer avait reçu le Prix Nobel, qu'il méritait amplement. Il dut différer le discours d'usage jusqu'en janvier 1905. Alors âgé de 76 ans, mais toujours aussi consciencieux, il fit le long voyage jusqu'en Norvège malgré les rigueurs de l'hiver et y célébra "les progrès et les avantages de l'arbitrage".

Dr Irwin Abrams
Université d'Antioch
Yellow Springs, Ohio
Etats-Unis d'Amérique

Page d'accueil | Principaux domaines d'activités | Structure et documents