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N°35
SEPTEMBRE 2009

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de la Revue

Le Monde des Parliaments
Interview de M. Daniel Cohn-Bendit,

« La démocratie ne fonctionne que si elle est contradictoire »

M. Daniel Cohn-BenditDaniel Cohn-Bendit est un homme politique de nationalité allemande, dont la vie et la carrière se déroulent en France et en Allemagne. Député européen depuis 1994 et coprésident du groupe Verts/ALE depuis 2004, il fut l’un des principaux acteurs du mouvement de Mai 68 en France. En 2009, il a conduit la liste Europe Écologie aux élections européennes dans la circonscription Îlede- France (20,86 % des voix), liste qui a recueilli 16,28% des voix au niveau national. Dans l’entretien téléphonique qu’il a accordé au Monde des Parlements, Daniel Cohn-Bendit explique son engagement parlementaire et son analyse de la démocratie en général.

Q: Quel bilan faites-vous de la démocratie aujourd’hui ?
M. Daniel Cohn-Bendit:
D’une manière générale, nous avons des démocraties parlementaires qui fonctionnent. En même temps, il y a visiblement un fossé entre la société et les institutions démocratiques. Les sociétés en général sont très sceptiques sur les capacités des institutions démocratiques à régler les problèmes.

Q: Quel rôle jouent les élus pour renforcer la démocratie et faire respecter la tolérance en politique ?
DCB:
Le problème pour les élus, c’est de se montrer capables de comprendre ce qui se passe dans la société. Les parlementaires - et cela peut paraître parfois contradictoire - ont non seulement la tâche de proposer des solutions aux crises auxquelles nous sommes confrontés : crise financière et économique, crise écologique, crise de la mondialisation, mais en même temps ils doivent tenter, par leur présence et leur manière d’agir, de rapprocher institutions démocratiques et société.

Q: Les législateurs doivent-ils être la passerelle entre ceux qui les ont élus et les gouvernements, afin de convaincre ces derniers qu’il est urgent d’agir pour sauver l’écosystème par exemple ?
DCB:
Les élus et les élues sont ceux qui doivent pousser les majorités et donc les gouvernements dans une certaine direction. Les parlementaires sont là pour être non pas simplement des passerelles ou des courroies de transmission, mais aussi pour exprimer les contradictions. La démocratie ne fonctionne que si elle est contradictoire. Il n’y a jamais une seule solution en politique. La démocratie ne peut réussir que si les sociétéssont convaincues que c’est dans le débat contradictoire, dans les oppositions, qu’émergent les solutions. Le danger est que les élus disent souvent « il n’y qu’à faire ceci ou cela pour arriver à bon port » et ce n’est jamais vrai. La formule «il n’y a qu’à» est un danger pour les démocraties.

Q: Vous dites que l’on peut changer les choses par la voie parlementaire et celle des urnes, mais que répondezvous à ceux qui ont perdu confiance dans leurs représentants politiques ?
DCB:
Un des problèmes de la démocratie est que nos sociétés sont un peu unilatérales. La majorité des gens sont en faveur des réformes à condition que rien ne change pour eux. Vous avez donc un blocage au niveau de la société et les élus sont parfois confrontés à l’immobilisme de la société. Si vous prenez le cas des réformes ou des changements nécessaires pour sauver l’écosystème, il ne suffit pas d’adopter des lois, il faut aussi des changements de comportement, une des choses les plus difficiles à faire.

Q: Vous avez été un dirigeant important du mouvement étudiant en 1968, et vous êtes très actif au Parlement européen. Que dites-vous aux jeunes pour les convaincre de renforcer la démocratie et de s’engager pour faire avancer les choses ?
DCB:
Je ne suis pas aussi sceptique que vous sur les jeunes. Certes, les jeunes ont une approche individualiste, qui correspond d’ailleurs à l’état d’esprit de la société, mais en même temps beaucoup de jeunes s’engagent dans des organisationsnon gouvernementales et sebattent pour un monde meilleur. Je leur dis que oui, on peut changer le cours des choses en s’engageant.

Q: Quel a été le moment déterminant qui vous a convaincu que vous pouviez changer les choses par la voie parlementaire ?
DCB:
Ce fut au cours des années 70, après avoir participé à des mouvements très importants en 68 et après avoir milité dans les mouvements écologiques et antinucléaires. Nous avons compris que si ces mouvements mobilisaient la société, les décisions étaient prises au niveau d’une majorité parlementaire. Une démocratie n’obtient des changements que s’il y a une majorité parlementaire capable de les réaliser. Intervenir au niveau institutionnel permet d’aboutir à ces changements. Mouvements sociaux et nouvelles majorités vont de pair. On peut changer le monde par l’action dans la société et par l’action au niveau institutionnel.

Q: Que peut faire l’Europe pour venir en aide aux autres continents et notamment à l’Afrique ?
DCB:
Il est fondamental que l’Europe participe à toutes les renégociations au niveau du fonctionnement de la mondialisation et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il y aura de nouvelles négociations en Europe sur la politique agricole commune qui a une influence, positive ou néfaste, pour l’Afrique. Il faut arrêter l’aide à l’exportation pour notre agriculture. L’Europe doit être au centre d’une réflexion sur la nécessité du développement des pays les plus pauvres qui passe par une nouvelle réglementation de l’OMC et par une nouvelle politique commune en Europe.

Q: Vous êtes aussi très intéressé par l’Amérique latine…
DCB:
Le même phénomène concerne l’Afrique ou l’Amérique latine. Dans les négociations internationales, il faut que l’Europe impose la possibilité de l’autodéveloppement des pays émergents et en même temps il faut avoir un dialogue très serré avec l’Amérique latine et en particulier avec le Brésil, pays émergent très fort sur toute la problématique de l’environnement, des changements climatiques et du carburant, qui représente un vrai problème de dégradation écologique.

Q: Vous avez toujours soutenu le partenariat entre hommes et femmes en politique. Y a-t-il une avancée ou un recul dans ce domaine ?
DCB:
Nous avançons, mais trop lentement. Dans certains pays, vous avez des forces politiques, comme les Verts et les Ecologistes qui sont arrivés à la parité réelle, alors que d’autres forces politiques plus traditionnelles et conservatrices sont encore loin du compte. Idem pour l’économie, où le nombre de femmes qui arrivent tout en haut est aussi assez réduit.

Q: Où puisez-vous l’énergie pour continuer de faire bouger les choses ?
DCB:
Je suis très optimiste. Prenez la chanson de reggae You can get it if you really want de Jimmy Cliff. Elle dit que quand on veut on peut. C’est ce qu’a développé Barack Obama.

Q: Le président Obama peut-il vraiment changer le monde ?
DCB:
Disons que Barack Obama est aujourd’hui une pièce maîtresse. Certes, il n’agit pas seul, il peut faire bouger la société américaine, mais vous voyez les résistances concernant son programme de réforme de la santé aux Etats-Unis par exemple. Il est sans aucun doute une des personnalités qui peut permettre le plus en ce moment.