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Bulletin de l'innovation | 19e édition | 01 oct 2024
Mauritius

Le président du Parlement mauricien Charles Adrien Duval, s’entretient avec Saseeta Ramsahye-Rakha, lors de sa visite au bureau informatique après l'élection. 

©Assemblée nationale de Maurice
 

Innovation à l'Assemblée nationale de Maurice : entretien avec Mme Saseeta Ramsahye-Rakha

L'Assemblée nationale de Maurice, petit État insulaire en développement, compte tout juste 70 députés et environ 80 collaborateurs. En dépit de sa taille, toutefois, elle joue depuis longtemps un rôle de pionnier en matière d'innovation dans la région. Nous nous sommes entretenus avec Mme Saseeta Ramsahye-Rakha, qui dirige le service informatique depuis 2003, de l'évolution technologique de son parlement et des choix qui ont permis à l'Assemblée nationale d'exercer une influence mondiale sans commune mesure avec sa taille.

Centre pour l'innovation au parlement (CIP) : Comment la fonction informatique a-t-elle évolué dans votre parlement tout au long de ces années ?

Mme Ramsahye-Rakha (SRR) : La fonction informatique a connu une transformation radicale depuis mon arrivée en 2003. Nous sommes passés d'un petit service d'appoint à un partenaire stratégique des processus parlementaires. Au départ, l'informatique était considérée comme une activité d'arrière-plan visant à fournir un soutien technique, à gérer le réseau local et à garantir le bon état de marche du matériel. Cependant, l'importance de la gouvernance numérique et de la gestion des données allant croissant, notre rôle a changé du tout au tout.

Notre équipe s'est élargie en taille et compétences. Nous avons commencé avec quelques techniciens chargés de l'assistance de base pour les ordinateurs et le réseau. Aujourd'hui, notre équipe s'est diversifiée et elle inclut des experts de la cybersécurité protégeant notre infrastructure parlementaire, des analystes qui conçoivent et mettent en œuvre des plateformes informatiques sur mesure répondant aux exigences uniques de notre parlement, des développeurs chargés des applications sur mesure, des techniciens de radiodiffusion qui prennent en charge tous les aspects de la radiodiffusion et de la diffusion en direct sur Internet et des responsables de l'infrastructure informatique qui supervisent les systèmes en nuage et l'accès à distance des parlementaires.

L'importance stratégique de l'informatique a considérablement augmenté, tout particulièrement avec le phénomène de la numérisation. L'informatique est désormais incontournable, qu'il s'agisse des systèmes de gestion électronique de la documentation parlementaire et de la transcription automatique des débats ou des opérations dématérialisées et des plateformes de communication numériques destinées aux parlementaires. Nous améliorons également la transparence en donnant au public un accès en ligne aux débats parlementaires, qui sont diffusés en direct sur le portail web et la chaîne de télévision du Parlement.

La pandémie de COVID-19 a accéléré cette transition, en soulignant le rôle crucial joué par l'informatique pour assurer le maintien de la gouvernance. Nous avons dû nous adapter rapidement au travail à distance en veillant à ce que le parlement puisse continuer à s'acquitter de ses fonctions sans heurt, y compris dans des conditions difficiles.

CIP : Quelles sont les trois principales innovations instaurées par votre parlement au fil du temps ?

SRR : La première est le système d'enregistrement numérique permettant la transcription automatique des débats, qui a révolutionné la production des comptes rendus Hansard. Ce système, qui enregistre les débats en temps réel, utilise des algorithmes de synthèse vocale avancés pour retranscrire automatiquement les débats. Après une relecture humaine sommaire visant à corriger les éventuelles erreurs, nous sommes désormais en mesure de produire et publier le compte rendu Hansard des débats dans les 24h qui suivent une séance. Cette publication rapide permet de mettre les enregistrements à la disposition des parlementaires, des médias et du public pratiquement en temps réel, ce qui améliore la transparence et facilite la prise de décision éclairée.

La deuxième innovation importante concerne l'Application de séance pour les parlementaires, généralement connue sous le nom d'App MNA, qui a facilité notre transition vers la dématérialisation du Parlement. Cette application offre aux parlementaires un accès numérique à tous les documents dont ils ont besoin pour les réunions parlementaires, y compris les projets de loi, les ordres du jour et les documents de référence, ainsi qu’aux archives numériques des débats en remontant jusqu'en 1998. Les parlementaires peuvent se servir de cette application sur leur tablette pendant les réunions pour consulter la documentation, prendre des notes et accéder à des mises à jour en temps réel des débats et des travaux. Cette initiative a considérablement réduit notre besoin de papier, ce qui a fait baisser les coûts et promu des pratiques respectueuses de l'environnement.

La troisième innovation que je souhaite mentionner concerne la diffusion en direct des débats parlementaires, qui a considérablement amélioré notre transparence et l'implication du public. Nous diffusons les débats en direct sur notre portail de vidéo à la demande, ainsi que sur la télévision par voie hertzienne, par l'intermédiaire de notre chaîne de télévision parlementaire. Nous utilisons des caméras placées à des angles multiples en nous conformant aux bonnes pratiques en matière de couverture vidéo de façon à offrir une expérience visuelle fluide et de qualité. Les enregistrements des séances sont également conservés dans les archives et mis à disposition en ligne pour référence future. Cette initiative a rendu la procédure législative plus visible en temps réel pour le public, ce qui renforce la redevabilité et incite les citoyens à participer plus activement aux travaux du parlement.

SRR : Nous devons notre réussite à l'engagement fort de notre direction en faveur de l'innovation.

Notre Secrétaire générale, Mme Urmeelah Devi Ramchurn, a décrit l'innovation, non pas comme un luxe, mais comme une nécessité pour le fonctionnement d'un parlement moderne. Cette mentalité prévaut dans l'ensemble de notre institution.

Notre président, M. Adrien Charles Duval, a joué un rôle de premier plan dans notre transformation numérique. Sous sa conduite, nous nous sommes lancés dans la transformation numérique, conçue non comme un luxe, mais comme une nécessité pour la gouvernance moderne. Nous nous efforçons continuellement d'innover et d'améliorer notre fonctionnement. Les nouvelles technologies, non seulement rendent notre travail plus efficace, mais autonomisent aussi les citoyens en facilitant leur accès à la procédure législative.

Nous avons également réussi à mobiliser les ressources requises pour mettre en œuvre les réformes exigées par l'informatique. Il s'est notamment agi d'investissements dans l'infrastructure informatique et la formation du personnel et de l'instauration de partenariats avec des instances internationales. Plus important encore, les dirigeants et les experts du domaine informatique participent à la prise de décision à haut niveau pour veiller à ce que les solutions technologiques soient bien adaptées aux objectifs stratégiques du Parlement. Le service informatique n'est donc pas qu'un simple prestataire de service, mais un partenaire stratégique pour atteindre des objectifs législatifs.

L'apprentissage permanent auprès d'autres parlements s'est révélé crucial. Nous prenons une part active à des forums mondiaux, des programmes de partage de connaissances et des partenariats avec des organismes tels que le CIP, ce qui nous a permis de conserver notre avance en matière d'adoption des nouvelles technologies et de bonnes pratiques.

CIP : Quelles sont les difficultés les plus pressantes auxquelles votre parlement est confronté et comment les surmontez-vous ?

SRR : Les menaces qui pèsent sur la cybersécurité représentent un défi de taille, tout particulièrement au vu de notre dépendance accrue à l'égard des systèmes numériques. Nous nous y attelons en adoptant des solutions de cybersécurité adaptées, en réalisant régulièrement des audits, en veillant à ce que le personnel informatique bénéficie d'une formation continue en matière de menaces émergentes et en organisant à l'intention des autres membres du personnel parlementaire et des parlementaires des réunions de sensibilisation à la sécurité.

Les contraintes financières nous posent aussi difficulté. À l'instar de nombreuses institutions, nous avons du mal à disposer des ressources financières et humaines dont nous avons besoin pour mener à bien les projets informatiques. Nous y remédions en accordant la priorité à certaines initiatives clés et en nouant des partenariats, notamment avec des organisations internationales, qui nous apportent leur assistance technique et leur soutien pour renforcer nos capacités.

Enfin mais surtout, les nouvelles technologies suscitent souvent de la résistance chez les personnes qui ont l'habitude de travailler de façon traditionnelle. Nous relevons ce défi au moyen de vastes programmes de formation destinés à prouver aux parlementaires et au personnel parlementaire les avantages concrets des nouveaux systèmes. Il faut présenter la technologie, non pas comme un fardeau, mais comme une solution pour rendre le travail plus efficient et efficace.

CIP : Que diriez-vous de votre expérience en tant que femme dirigeant le service informatique d'un parlement, ce qui est rare à l'échelle mondiale ?

SRR : Être une femme qui travaille dans un milieu avant tout masculin a entraîné son lot de difficultés, mais aussi de satisfactions. L'Assemblée nationale m'a offert un environnement propice, à l'intérieur duquel l'égalité des sexes est respectée. Notre parlement a déjà été présidé par une femme et notre Secrétariat général est actuellement dirigé par une femme, qui a succédé à une autre. Cette situation révèle une approche visionnaire offrant systématiquement aux femmes des possibilités de se développer.

Mon parcours m'a montré que la compétence, le dévouement et la vision transcendent l'appartenance à un sexe ou un autre. Je conseille aux autres femmes à des postes comparables de considérer le fait d’être une femme non pas comme une contrainte, mais comme un atout. Le parlement a besoin de leur perspective et la technologie de leur créativité.

Mon rôle au parlement va au-delà de la simple expertise technique, il consiste à m'orienter dans les méandres de la procédure législative en veillant à ce que la technologie soit au service des objectifs de gouvernance.

J'ai choisi de rester au parlement parce que notre travail influe directement sur la démocratie, la transparence et les droits des citoyens. À la différence du secteur privé, le travail au parlement me permet de contribuer aux fondements mêmes de la gouvernance de notre pays. C'est incroyablement enrichissant de voir que nos innovations technologiques rendent le parlement plus accessible et transparent pour les citoyens au service desquels nous nous trouvons. Ce sont ce sentiment d'utilité et la possibilité d'impulser des changements importants en matière de gouvernance qui m'ont incitée à rester à cette place et qui continuent à me motiver à faire ma part.