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Protéger les élections à l'ère numérique

La Commission Annan sur les élections et la démocratie à l'ère numérique a rendu public son rapport à l'occasion de la réunion annuelle du Forum économique mondial de Davos, en janvier 2020. Dans ce rapport, elle invitait les gouvernements, les entreprises et la société civile à prendre d'urgence des mesures pour protéger la démocratie des menaces numériques et formulait des recommandations d'action dans cinq grands domaines, à savoir la polarisation, les propos haineux, la désinformation, la propagande politique et l'ingérence étrangère. L'urgence est là : 80 élections devraient se tenir en 2020, un grand nombre d'entre elles dans des pays dans lesquels la manipulation d'Internet et des médias sociaux constitue tout à la fois une éventualité plausible et une menace réelle. Dans des circonstances normales, les mesures fermes proposées par la Commission devraient être appliquées pour garantir l'intégrité de ces élections et la légitimité de leur issue. 

Les circonstances sont toutefois tout sauf normales et certaines des 80 élections prévues pourraient ne pas avoir lieu. La crise de la COVID-19 met en difficulté les démocraties établies et menace de submerger les institutions chargées de la gouvernance dans les autres pays, tout en nous donnant à tous de nouveaux exemples du caractère viral, rapide et pervers de la désinformation. Tenir des élections au beau milieu d'une pandémie mondiale pose des difficultés majeures à ceux qui sont chargés d'assurer l'intégrité des élections, tout en étant riche d'enseignements : face à la crise, les entreprises et les collectivités du monde entier nous rappellent quotidiennement la capacité extraordinaire des réseaux sociaux et d'Internet en matière d'implication, d'autonomisation et d'éducation des citoyens.

Il est plus urgent que jamais de veiller à ce que les institutions et les processus démocratiques soient adaptés à l'ère numérique, mais cette évolution pose des problèmes majeurs. En 2018, M. Kofi Annan, soucieux de l'incidence exercée par les réseaux sociaux et la technologie sur les élections, a convoqué un groupe d'experts chargé de définir et encadrer les remises en cause de l'intégrité électorale imputables aux technologies numériques et de concevoir des mesures politiques destinées à y remédier. Le présent article abordera brièvement certaines des principales conclusions et recommandation du rapport, dont la version intégrale est disponible en cliquant ici.

Tout d'abord, le groupe a estimé qu'un grand nombre des maux dont sont accusés Internet et les réseaux sociaux (notamment la polarisation extrême de la politique dans les démocraties) ne datent pas de l'émergence des médias sociaux et d'Internet. Les informations fallacieuses et les propos haineux existent depuis la nuit des temps et les citoyens des démocraties n'ont jamais tous vu la réalité de la même façon, ni même été d'accord sur ce qui la constitue. Comme le relève le rapport : "La démocratie est indispensable justement parce que les citoyens ne sont pas d'accord sur des points fondamentaux."

Les médias sociaux ne sont peut-être pas à l'origine des difficultés que connaissent actuellement les valeurs et les processus démocratiques, mais ils les exacerbent et les intensifient, les portant à des niveaux dangereux. Par exemple, les législateurs et parlementaires européens et latino-américains ont exprimé à la Commission l'inquiétude qu'ils ressentent face à la vitesse et à l'omniprésence des réseaux sociaux, dont ils craignent qu'ils ne déclenchent le réflexe de répondre immédiatement aux exigences, aux informations ou aux doléances, affaiblissant le mandat du parlement, qui consiste à débattre avant de fixer des objectifs politiques.

La Commission estime également que les démocraties du sud de la planète sont plus vulnérables aux menaces numériques et se dit préoccupée que les élections qui s'y dérouleront ne constituent la cible privilégiée des propos haineux, de la désinformation, de l'ingérence étrangère et de la manipulation nationale véhiculés par les réseaux. "Les menaces numériques et les manipulations étrangères prenant pour cible les élections dans les pays occidentaux ont fait couler beaucoup d'encre à l'échelle mondiale" explique Laura Chinchilla, Présidente de la Commission, tandis qu'au sud de la planète, "les nouvelles démocraties ou les pays en transition démocratique sont particulièrement exposés aux menaces numériques. Toutefois [...] des évolutions démocratiques prometteuses ont également lieu." 

Enfin, en comparant les points de vulnérabilité, la Commission a conclu que les pays ayant déjà connu des épisodes de polarisation et de violence, et dans lesquels les médias sont très partiaux, sont les plus exposés à l'instrumentalisation des réseaux sociaux. La Commission propose de prendre ces trois facteurs comme critères pour établir une échelle permettant d'estimer la vulnérabilité des élections à l'instrumentalisation des réseaux sociaux, aidant ainsi les organisations internationales, les groupes observant les élections, les donateurs et les autres à mieux comprendre l'origine des menaces et comment répartir leurs ressources.

Se fondant sur ces conclusions, la Commission recommande une série de mesures destinées à protéger l'intégrité des élections et prie les pouvoirs publics et les plateformes Internet de mettre en place certaines mesures précises. Les recommandations visent à remédier à trois grandes difficultés, à savoir la nécessité de disposer de davantage d'informations, de renforcer la collaboration et de compléter le cadre réglementaire.

La définition de normes communes fixant l'utilisation acceptable des technologies numériques, particulièrement délicate, sera abordée par la Fondation Kofi Annan lorsqu'elle se lancera dans la mise en œuvre de certaines recommandations, conçues dans l'optique de combler les lacunes réglementaires. Ces recommandations invitent notamment :

  • les gouvernements à établir une convention internationale encadrant l'engagement transfrontière à établir une distinction entre l'assistance électorale légitime et les interventions illicites ou illégales ;
  • les entreprises, les gouvernements et la société civile à rédiger un code de conduite mondial définissant le rôle des sociétés de conseil politique et des revendeurs d'équipement électoral ;
  • les responsables de l'intégrité électorale à établir des normes et des règles s'appliquant aux sociétés de conseil intervenant dans les campagnes politiques à l'échelle transnationale, y compris les sociétés de relations publiques, de communication stratégique et de marketing numérique.

Dans les mois à venir, et en partenariat avec des acteurs clé, dont l'UIP, la Fondation organisera des dialogues multipartites visant à élaborer les normes et les règles susmentionnées et à plaider en faveur de leur adoption. Comme l'a souligné M. Annan : "la technologie ne s'arrête jamais et la démocratie doit faire de même". Les efforts que nous déploierons pour mettre en œuvre les recommandations issues de son initiative politique seront pour nous l'occasion de concrétiser sa vision d'un monde dans lequel tout un chacun aurait son mot à dire concernant ceux qui le gouvernent et comment ils s'acquittent de cette tâche. 

Références

The Kofi Annan Commission on Elections and Democracy in the Digital Age

Contact

Declan O’Brien
Coordinateur de programme
Programme pour les élections et la démocratie
Fondation Kofi Annan
Courriel : [email protected]