Alors même que l'Espagne est plongée dans la crise du coronavirus, son Parlement fait preuve d'une capacité remarquable à poursuivre ses activités législatives grâce à l'environnement de travail, en grande partie numérique, installé avant la crise. Le Sénat a décidé en 2010 de transformer le parlement en un environnement numérique. Depuis lors, il a progressivement mis des solutions en œuvre et actualisé son règlement et ses procédures. Le parlement numérique a pour but de faciliter l'interaction avec les citoyens et d'optimiser la procédure interne du Sénat. Un projet aussi radical que celui-là exige un remodelage permanent des procédures, de l'organisation et de la culture de l'institution. Comme le souligne le Rapport mondial sur l'e-parlement de 2016 : "La difficulté ne se limite pas à l'adoption de la technologie. Nombre des difficultés rencontrées sont stratégiques et doivent être abordées dans une perspective systémique".
Ce projet de transformation numérique repose sur une série de lois, adoptées entre 2007 et 2015, dans l'optique d'offrir aux citoyens un accès électronique aux services publics en toute transparence, de leur donner accès à l'information publique et d'assurer la bonne gouvernance. Cette nouvelle législation a défini les aspects extérieurs de la transformation numérique, notamment la communication entre les citoyens et l'administration publique, dont le Sénat. D'autres lois relatives aux procédures administratives appliquées dans le secteur public, en lien avec la législation susmentionnée, ont encouragé le développement du classement, de l'archivage et du suivi électroniques dans les administrations publiques.
À l'échelon supranational, la stratégie de transformation numérique mise en œuvre par le Sénat est conforme aux orientations fixées par l'Union européenne en matière de numérisation et de transformation des services publics, notamment les instances législatives.
Portée du projet
Le projet de transformation numérique du Sénat, qui a débuté en 2010, suit son cours. Il s'articule en cinq phases :
1. Moderniser l'infrastructure technologique sur le plan matériel
2. Créer un système de traitement de l'information au parlement
3. Instaurer sur le web des services transparents axés sur le citoyen
4. Mettre en place des composants logiciels "horizontaux". Le terme "horizontal" signifie que ces logiciels sont utilisés dans toute l'administration (par opposition à "vertical", qui signifie que leur utilisation est limitée à la gestion financière ou à l'administration de l'activité législative). Les composants logiciels horizontaux incluent les systèmes suivants :
- identification des responsables ayant compétence pour authentifier et autoriser
- signature électronique
- certification de la numérisation afin de conserver la validité juridique des documents scannés
- communications et notifications électroniques
- gestion centralisée des documents
- gestion électronique du flux de travail
- greffe électronique
- système de gestion des archives numériques
- cadre standardisé pour le développement des applications.
5. Réingénierie électronique des procédures parlementaires et administratives, qui implique de transformer les unes après les autres les modalités quotidiennes de travail pour les faire évoluer du support papier (encore partiellement utilisé) à un flux de travail entièrement électronique, processus exigeant un grand nombre de mesures soutien pour gérer le changement.
A l'heure actuelle (mars 2020), les phases 1 à 4 sont terminées et la phase 5 a été menée à bien à 25 %. La transformation de l'organisation interne dans un cadre en perpétuel changement est permanente et, de ce fait, le projet n'a pas de date de fin. Un plan quadriennal a par contre été élaboré et il est régulièrement actualisé et mis en ligne sur le site du Sénat.
Principes de mise en œuvre
Le projet respecte certains principes clés, parmi lesquels :
- la planification progressive et la souplesse de mise en œuvre : les objectifs à long terme du projet le placent dans un cadre strict, mais les cycles de planification à court et moyen terme restent quant à eux souples, ce qui permet de tenir compte des réactions et d'adapter la réalisation au rythme auquel l'administration s'adapte au changement et adopte les nouvelles technologies et procédures. Ceci permet également d'absorber les glissements et les chocs que connaissent les technologies récemment apparues sur le marché ;
- la priorité de tous les instants à la gestion du changement : relayée par une direction fortement impliquée et mise en évidence par le soutien manifesté par la haute direction, le Secrétariat général et la direction politique représentée au Conseil d'administration de la chambre ;
- la réorganisation interne des services informatiques du parlement : certaines fonctions devront évoluer, notamment celle des techniciens qui contrôlent actuellement le système et le centre de traitement des données, qui devront se transformer en administrateurs techniques du cloud. En outre, le Parlement espagnol étant bicaméral et disposant d'un service informatique par chambre, une coordination et une coopération constantes devront être instaurées pour harmoniser les services, voire envisager l'instauration de services communs, tout particulièrement pour coordonner la procédure législative des deux chambres ;
- Suivi : le marché de la technologie évolue rapidement et les responsables du projet restent en alerte pour détecter toute accélération et/ou perturbation.
L'optique adoptée pour la gestion du changement repose sur les critères suivants :
- souplesse hiérarchique et développement de la communication horizontale
- partage de connaissances entre les services grâce à des wikis, des entretiens de formation en interne, des bulletins d'information, etc.
- promotion de la formation, non seulement technique, mais aussi pour développer les compétences (p. ex. gestion des équipes de collaborateurs, présentations efficaces, règlement des conflits)
- traitement et relations de qualité avec les utilisateurs (prise en compte de leurs besoins dans un cadre ferme)
- recours aux méthodes de développement agiles telles que Scrum (au service informatique)
- cycles courts de validation des fonctionnalités avec les utilisateurs (sprints)
- formation et implication des utilisateurs finals à un stade précoce, avant même que les systèmes aient été développés et les procédures modifiées
Réalisations
Parmi les réalisations remarquables du projet, relevons :
- la virtualisation et la centralisation du contrôle de l'ensemble de l'infrastructure matérielle (100 %)
- la réingénierie et la refonte du site web du Sénat afin d'en faire un site réactif dont l'accessibilité est garantie (100 %)
- l'établissement de services transparents axés sur les citoyens, ainsi que d'un portail de données ouvertes (100 %)
- la création d'un cadre permettant le développement d'applications basées sur Java (100 %)
- la mise au pont de tous les composants logiciels horizontaux et leur intégration dans les systèmes internes (100 %)
- l'élaboration d'une politique de gestion des documents électroniques et la mise en œuvre du logiciel de gestion de documents Alfresco (100 %)
- l'élargissement de la signature électronique à toutes les procédures internes (80 %)
- la réingénierie et la numérisation de toutes les procédures administratives et parlementaires (25 %)
- la documentation des procédures et des applications grâce à un wiki et à une formation aux méthodologies de développement agiles telles que Scrum (100 %)
- la réorganisation des services informatiques du parlement afin de les déséchelonner et d'assouplir la définition des fonctions (50 %)
- le suivi des problèmes et la gestion des étapes du développement grâce à un outil centralisé (100 %).
Enseignements à tirer par les autres parlements
Consulté, Manuel Pereira González, Chef de projet au Secrétariat, a conseillé aux autres parlements de considérer la transformation numérique comme :
- un projet important plutôt qu'urgent
- un projet impliquant un changement au niveau de l'organisation plutôt qu'un projet technique
- un projet d'application progressive plutôt qu'un big bang
- un projet exigeant le soutien stratégique de la direction (c.-à-d. le conseil d'administration du parlement et son secrétaire général) plutôt qu'un projet opérationnel du service informatique
- le recours à des outils communs à toute l'organisation (horizontaux) plutôt qu'à des projets "bricolés" individuellement par chaque service
Contact
Manuel Pereira González
Conseiller pour la transformation numérique
[email protected]
José Ángel Alonso López
Directeur du service informatique
[email protected]