Par Linda Reynolds, sénatrice australienne
Plus de 50 millions de personnes à travers le monde sont réduites en esclavage. Il peut être difficile pour les législateurs de déterminer comment s’attaquer efficacement à un problème aussi complexe. En tant que sénatrice australienne, j’ai estimé qu’il était judicieux de commencer par s’occuper des 5,4 millions d’enfants dans le monde qui font l’objet d’un trafic et sont placés dans des orphelinats non réglementés. Cette pratique, connue sous le nom de "traite d’enfants dans les orphelinats", se caractérise par le recrutement ou le placement d’enfants dans des structures d’accueil à des fins d’exploitation et de profit. Lorsque ces enfants sont placés en institution, nombre d’entre eux perdent le contact avec leur famille et reçoivent de faux documents d’identité qui servent à légitimer leur statut d’orphelin.
Quand on s’intéresse à la lutte contre la traite d’enfants dans les orphelinats, il est important de faire la distinction entre les pays "émetteurs" et les pays "récepteurs".
Les pays émetteurs – ou pays contributeurs – sont ceux où des personnes et des organisations bien intentionnées donnent de l’argent pour les orphelinats ou y font du bénévolat. Malheureusement, les bonnes intentions des donateurs et des bénévoles sont souvent exploitées par les responsables des orphelinats, qui privilégient le profit au détriment du bien-être des enfants dont ils ont la charge. Ces orphelinats affichent souvent une attention et une compassion de façade qui leur permettent d’obtenir des soutiens tout en perpétuant le cycle de la traite.
Les pays récepteurs – ou pays d’accueil – sont généralement ceux où la pauvreté, l’instabilité sociale et les conflits sont monnaie courante. Ces facteurs peuvent fragiliser les familles et les exposer à des pratiques de recrutement trompeuses. Les enfants de ces pays sont pris pour cible car ils sont perçus comme étant plus faciles à manipuler ou parce que leurs familles n’ont pas les ressources et les connaissances nécessaires pour les protéger. Les recruteurs promettent une vie meilleure, une éducation et même des produits de première nécessité. Ces promesses servent d’appât et masquent la véritable nature de la traite d’enfants dans les orphelinats qui relève de l’exploitation. Souvent, ces pays ne disposent pas de systèmes de protection de l’enfance solides, ce qui rend difficile le contrôle des orphelinats et la prévention de la traite.
Il s’agit d’une forme relativement récente de traite et d’esclavage. Ce phénomène est dû au fait que la demande dans les pays émetteurs pour venir en aide aux enfants orphelins dépasse largement l’offre naturelle d’orphelins dans les pays récepteurs. Le fait est qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de généreux donateurs et bénévoles désireux d’aider les orphelins qu’il n’y a de véritables orphelins. Les responsables de ces institutions savent qu’ils peuvent réaliser d’importants profits grâce aux dons internationaux et aux bénévoles qui sont prêts à payer pour s’occuper d’orphelins. Pour répondre à cette demande, les trafiquants vont chercher des enfants dans des familles vulnérables.
Les pays émetteurs n’appréhendent pas encore pleinement les risques liés au tourisme et au bénévolat dans les orphelinats, ni le lien avec la traite et l’exploitation des enfants. L’Australie a commencé à s’attaquer à ce problème en réglementant l’action des organisations caritatives auprès des orphelinats situés à l’étranger, notamment en limitant le financement public et en réglementant les organisations caritatives qui opèrent à l’étranger. Cette réglementation considère le travail dans les structures d’accueil pour enfants, le bénévolat à l’étranger et le parrainage d’enfants comme des activités à haut risque et oblige les organisations caritatives à respecter des normes minimales de protection, aussi bien en Australie que dans les pays d’accueil. Ainsi, les organisations australiennes qui soutiennent des institutions non enregistrées situées à l’étranger, par exemple en envoyant des bénévoles ou en facilitant le tourisme dans les orphelinats, ne peuvent prétendre au statut d’organisation caritative.
Parallèlement aux efforts de réglementation, les campagnes de sensibilisation jouent un rôle clé pour informer les éventuels bénévoles et donateurs des méfaits du tourisme dans les orphelinats et de l’importance de soutenir les solutions en milieu familial.
Les pays émetteurs peuvent aider les gouvernements des pays récepteurs à privilégier les solutions en milieu familial plutôt que le placement en institution. Des études montrent qu’au moins 80 % des enfants placés dans les orphelinats ont des parents vivants qui pourraient s’occuper d’eux s’ils bénéficiaient d’une aide adaptée. Au lieu de soutenir des modèles qui privilégient le placement en institution, les gouvernements peuvent investir dans l’action sociale en faveur des familles, appliquer la législation relative à la protection de l’enfance et entamer un processus de désinstitutionalisation. Des systèmes de protection de l’enfance peuvent également être mis en place pour détecter les cas de traite d’enfants dans les orphelinats et y remédier, veiller à ce que les trafiquants soient poursuivis et réintégrer les enfants dans leur famille ou les placer en famille d’accueil.
La bonne nouvelle est que, puisque cette forme de traite et d’esclavage dépend de l’attitude des bénévoles et des donateurs, il est possible d’y mettre fin en les incitant à soutenir les solutions en milieu familial proposées par l’État plutôt que le placement en institution. Privilégier le soutien aux familles et les solutions en milieu familial au détriment des placements en foyer permet aux parents de s’occuper de leurs enfants. Contrairement aux institutions, la famille apporte l’amour, le sentiment d’appartenance et l’identité dont les enfants ont besoin pour s’épanouir à l’âge adulte.
Ces dernières années, la législation relative à l’esclavage et à la traite des personnes s’est appuyée sur l’approche dite des "trois P" : prévention, protection et poursuites. Mais la traite d’enfants dans les orphelinats constitue une infraction pénale transnationale qui nécessite une réponse mondiale coordonnée entre pays émetteurs et pays récepteurs. Un quatrième "P" doit donc être ajouté à l’équation, celui des partenariats. Les partenariats, aussi bien nationaux que mondiaux, sont en effet nécessaires pour créer et maintenir une dynamique qui favorise le plaidoyer, l’action législative et la sensibilisation sur la question de la traite d’enfants dans les orphelinats.
Prendre conscience du phénomène est une chose, mais il faut aussi agir. Il faut notamment adopter des lois qui permettent de poursuivre les personnes qui participent à la traite d’enfants dans les structures d’accueil et réorienter les ressources en faveur des solutions en milieu familial afin d’éviter les placements en institution.
Mme Linda Reynolds est une sénatrice australienne et une figure de proue de la lutte contre l’esclavage moderne dans le monde. Lorsqu’elle était Ministre adjointe de l’intérieur, elle a défendu le projet de loi de 2018 sur la lutte contre l’esclavage moderne. Sur la scène internationale, elle représente l’Australie à l’Union interparlementaire (UIP) et est co-rapporteure sur la question de la traite d’enfants dans les orphelinats. En 2023, elle a présenté une résolution inédite sur cette question lors de la 147e Assemblée de l’Union interparlementaire organisée à Luanda (Angola). La résolution a été adoptée par consensus par les Parlements membres de l’UIP, faisant de ce texte la première initiative mondiale de lutte contre la traite d’enfants dans les orphelinats.
Pour en savoir plus sur la traite d'enfants dans les orphelinats, regardez le webinaire sur les Stratégies législatives pour mettre fin à la traite d'enfants dans les orphelinats
Les opinions et points de vue exprimés par les parlementaires sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement la position de l'UIP.