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Opinions

COVID-19: Quelles conséquences en matière d'égalité des sexes ?

Chungong

Martin Chungong, IGC Global Board Chair © IGC

Article d'opinion publié par le Secrétariat de l'initiative "Champions internationaux de l'égalité des sexes" (International Gender Champions – IGC) et Martin Chungong, Président du Conseil mondial de l'IGC et Secrétaire général de l'UIP.

En temps de crise, la question de l'égalité des sexes est un objectif qui est souvent suspendu de manière temporaire. La dimension de genre a tendance à être considérée comme secondaire, mais les mesures d'urgence qui n'intègrent pas une perspective de genre risquent fort d'exacerber les inégalités existantes et, à leur tour, d'aggraver les crises. L'épidémie d'Ébola en 2014, celle de Zika en 2015-2016, le SRAS, la grippe porcine et la grippe aviaire ont tous eu des effets négatifs profonds et durables sur l'égalité des sexes.

La pandémie de COVID-19 liée au coronavirus, qui touche aujourd'hui plus de 185 pays et territoires, n'est pas différente. Le coronavirus constitue une menace mondiale sans précédent qui pose de grands défis à nos structures de gouvernance. Il est essentiel de mettre en place des actions et des pratiques qui tiennent compte de la dimension de genre afin que cette crise ne frappe pas les femmes de manière disproportionnée par rapport aux hommes.

Le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), a expliqué au réseau international des champions de l'égalité des sexes qu'il estimait que "la réponse à la pandémie de COVID-19 doit tenir compte de la dimension de genre et être adaptée. Non seulement les femmes et les enfants font partie des groupes de population les plus fragiles, dont les besoins sont parfois négligés dans les situations d'urgence sanitaire, mais 70 % du personnel de santé qui s'occupe des personnes touchées est également composé de femmes. L'OMS s'est engagée à appliquer une approche sensible au genre pour évaluer et améliorer en permanence ses efforts d'intervention".

Les données actuelles suggèrent qu'il semble y avoir des différences entre les sexes en termes de mortalité et de vulnérabilité à la maladie. En effet, le nombre de décès chez les hommes est plus élevé que chez les femmes, ce qui peut être dû à des différences immunologiques ou liées au sexe, telles que les habitudes et la prévalence du tabagisme, mais les données ventilées par sexe disponibles sont incomplètes et les premières hypothèses doivent être formulées avec prudence. De nombreux facteurs exposent les femmes à un risque plus élevé en matière de santé et de conséquences sociales et économiques.

Certaines mesures peuvent être prises sans attendre, afin de créer des conditions plus équitables. Celles-ci auront d'autant plus d’effet que les membres de notre réseau montreront l'exemple.

La première mesure consiste à veiller à ce que les femmes participent à l'élaboration des politiques et des interventions. "Les éléments liés au genre dans le cadre de l'impact de cette situation d'urgence sanitaire sur les femmes ne sont pas assez bien mesurés", a déclaré Soumya Swaminathan, scientifique en chef à l'OMS, "les politiques en faveur des femmes ne sont souvent pas décidées par des femmes".

Par ailleurs, il incombe aux médias de veiller à ce que des voix représentant des perspectives diverses soient incluses dans les reportages et les émissions qui influent sur les réponses politiques. L'initiative Women in Global Health souligne que, pour trois hommes cités dans le cadre de la couverture médiatique de l'épidémie de COVID-19, on ne cite qu'une seule femme.

Deuxièmement, les données ventilées par sexe sont essentielles pour comprendre pleinement les risques et l'impact épidémiologiques, sociaux et économiques du coronavirus. Un appel à l'action visant à créer une infrastructure et un écosystème de données a déjà été lancé et nous devons utiliser les données dont nous disposons déjà afin de mettre en place des interventions et un soutien plus équitables et plus efficaces.

Il existe toute une série de questions que les décideurs politiques de tous les domaines devraient se poser afin d'évaluer la manière dont l'épidémie de COVID-19 affecte les femmes, les hommes et les différents groupes définis par l'âge, l'identité sexuelle, le handicap, le statut migratoire ou socio-économique. Parmi ces questions, on peut citer : Existe-t-il une différence en termes de taux d'infection et de mortalité ? Si oui, quels facteurs biologiques et sociaux en sont la cause ? Existe-t-il des groupes spécifiques, tels que les minorités vulnérables, qui pourraient échapper à la surveillance, aux tests et aux soins en raison d'une méfiance à l'égard du gouvernement ou des services de santé ? Comment peut-on leur venir en aide ?

Enfin, la troisième étape consiste à mettre en place des mesures de soutien et d'atténuation ciblées et à veiller à ce que les ressources ne soient pas détournées d'autres services essentiels. Lors de l'épidémie d'Ébola de 2013 à 2016, on rapporte qu'en Sierra Leone, plus de femmes sont mortes de complications obstétriques que de la maladie elle-même, car des ressources des soins de santé sexuelle et reproductive ont été transférées vers la lutte contre Ébola. Le FNUAP a produit des lignes directrices relatives aux réponses sensibles au genre dans le cadre de la COVID-19.

Les mesures de quarantaine adoptées dans le monde entier vont accroître le stress et les difficultés financières, facteurs avérés d'augmentation du risque de violence domestique, qui se traduit déjà, selon ONU Femmes, par 137 décès de femmes chaque jour dans le monde. Quels messages sont diffusés dans l'immédiat pour soutenir les femmes et les hommes, et les protéger de leurs partenaires violents, pour donner l'exemple d'un comportement approprié et pour garantir l'accès de tous aux services et ressources de santé mentale ?

Nous savons aussi déjà que les femmes doivent porter un fardeau social plus lourd et que les soins domestiques sont sous-évalués sur le plan économique. Selon l'Organisation internationale du Travail, les femmes effectuent en moyenne 2,6 fois plus de soins et de travaux domestiques non rémunérés que leurs partenaires masculins. Avec la fermeture des écoles, le poids de la garde des enfants sera sans doute assumé par les mères en raison de leur rôle traditionnel de pourvoyeuse de soins. Certains prédisent que "dans le contexte d'une pandémie, cette dynamique ne fera que s'exacerber, car les personnes âgées – dont les soins sont aussi principalement assurés par les femmes – auront plus que jamais besoin de soins, et les malades seront de plus en plus nombreux" (Lucia Graves, The Guardian).  

Les pouvoirs publics, tant l’exécutif que le législatif, et les organisations peuvent mettre en place des politiques de travail flexible et d'horaires réduits afin que chacun, hommes et femmes, puisse partager les tâches et contribuer à la prise de décision, et communiquer ainsi qu'il s'agit là d'un aspect essentiel de notre culture de gestion de crise.

Enfin, il y a l'impact économique asymétrique de la crise : les femmes sont plus nombreuses que les hommes à travailler dans des secteurs précaires et moins bien rémunérés, comme le travail domestique, l'agriculture ou l'hôtellerie et la restauration. "Les femmes sont plus durement touchées par les répercussions économiques telles que celles induites par la COVID-19, d'autant plus qu’elles travaillent proportionnellement plus que les hommes dans des emplois précaires", a déclaré Mohammad Naciri, responsable d'ONU Femmes en Asie. Les mesures financières urgentes doivent inclure les personnes qui ne bénéficient pas de couverture sociale en raison de l'absence de contrat de travail légal, afin de garantir que leur vulnérabilité n'est pas accrue et que leurs moyens de subsistance sont préservés.

Les mesures que nous prenons maintenant pour répondre à la crise de COVID-19 auront des conséquences à long terme. Les politiques et pratiques sensibles au genre doivent être considérées comme une condition préalable pour relever le défi auquel nous sommes confrontés et devenir un réflexe pour les décideurs engagés dans la gestion, la préparation, la réponse et l'atténuation en matière de crise.  

La crise de COVID-19 représente en outre une occasion de remettre en question les normes et rôles néfastes liés au genre et de souligner les nombreux obstacles systémiques et structurels qui freinent la progression de l'égalité des sexes. Parmi les exemples qui se dessinent déjà, citons les mesures de télétravail obligatoires adoptées par de nombreuses organisations dans le monde entier, qui permettent désormais aux employés travaillant à distance de mettre en avant leur valeur et leur productivité dans des milieux professionnels traditionnels. En bref, cette quarantaine pourrait être l'occasion d'évoluer vers des environnements de travail plus flexibles, inclusifs et soucieux de la famille, et vers un partage plus équilibré des responsabilités familiales et de soins entre les mères et les pères qui travaillent.

En conclusion, nos sphères d'influence respectives sont certes différentes, mais si nous saisissons l'occasion d'être proactifs, nous pouvons élaborer des approches qui profiteront à tous. Nous pouvons :

  1. Souligner l'importance de maintenir l'égalité des sexes au programme de nos sociétés, organisations et gouvernements dans le cadre de la préparation et de la réponse aux crises.
  2. Nous exprimer publiquement sur la nécessité de rendre les lieux de vie sûrs pour tous et attirer l'attention sur les services de soutien disponibles pour les victimes de violence domestique.
  3. Remettre en question le partage des tâches domestiques et liées à la garde des enfants, ainsi que le fardeau psychologique de cette crise au sein du foyer.
  4. Prendre des mesures pour développer l'empathie, la compréhension, la confiance et la solidarité avec nos responsables et collègues, ainsi qu'au sein de nos collectivités, afin de mieux comprendre et répondre aux différents besoins de ceux qui se trouvent autour de nous.
  5. Développer notre résilience et notre leadership pour être plus adaptables et plus ingénieux afin d'exploiter la créativité et le talent de toute notre population en employant de nouvelles méthodes et pratiques.

Le but de cet article est de présenter quelques réflexions de départ. Nous aimerions en savoir plus sur vos expériences sur [email protected] afin de mettre en valeur toutes les bonnes pratiques et de saisir l'occasion de façonner un avenir plus durable et plus équitable.

Texte co-écrit par le Secrétariat de l'IGC (Fleur Heyworth et Tiphaine Di Ruscio) et par le Président du Conseil mondial de l'IGC, Martin Chungong.
 

Voir aussi Les parlements en période de pandémie.