Skip to main content
Études de cas

Ce que l'IA implique en matière d'association du public avec les parlements

ipu

Alors que les parlements cherchent de nouveaux modes d'implication des citoyens, l'intelligence artificielle (IA) se révèle être potentiellement un moyen de transformation de la participation des citoyens au processus démocratique. Un webinaire en janvier 2025, organisé par le Pôle sur l'association du public du Centre pour l'innovation au parlement (CIP) de l'Union interparlementaire (UIP) et l'International Parliament Engagement Network (IPEN), a réuni des praticiens et des experts parlementaires pour étudier comment l'IA pouvait remodeler la relation entre les parlements et le public, en mettant en évidence les opportunités et les défis.

Ce débat a montré que les limites des méthodes classiques de participation du public deviennent manifestes. M. Denis Naughten, ancien parlementaire à la Chambre des représentants d'Irlande, a remarqué que les réunions publiques ne convenaient pas dans les cas des parlementaires, expliquant qu'elles n'attiraient "que des opinions pour ou contre, et non l'ensemble des points de vue". Cependant, M. Andy Williamson, directeur de recherche au CIP, a averti que l'IA n'était pas une "solution miracle" en matière de participation du public. Il a indiqué qu'il était difficile de toucher les groupes rarement entendus et que, si l'IA ne résolvait pas le problème, elle pouvait aider. Il a ajouté que la technologie pouvait permettre d'identifier de nouveaux intermédiaires au sein des communautés. 

Beaucoup de parlements sont confrontés à un double défi en matière de transformation : passer des systèmes papier à des systèmes numériques tout en essayant d'adopter des capacités d'IA. M. Aman Sadat, secrétaire de commission et membre du Groupe de travail sur l'IA à la Chambre des députés de Belgique, a observé que de nombreux parlements se trouvaient "en transition entre le papier et le numérique" et souhaitaient passer aux outils d'IA le plus rapidement possible, ce qu'il a décrit comme un défi potentiel. Malgré ces obstacles, M. Sadat a expliqué comment l'IA pouvait servir à analyser les consultations publiques afin de mieux connaître les groupes les moins représentés et comment les chatbots pouvaient rendre les informations parlementaires plus accessibles en proposant des réponses sous forme synthétique et des liens pertinents.

Mme Sahar Attia, parlementaire égyptienne et Présidente du Groupe de travail de l'UIP sur la science et la technologie, a mis en évidence une importante distinction entre "la participation du public" (processus descendant contribuant à la prise de décision) et "la participation" (processus montant centré sur l'écoute des opinions). Ce modèle permet de clarifier comment l'IA pourrait servir différents objectifs démocratiques, qu'il s'agisse de rendre l'information parlementaire plus accessible ou d'analyser et de comprendre les contributions des citoyens selon des perspectives nouvelles.

Des applications pratiques apparaissent déjà. Mme Viktoria Spaiser, maîtresse de conférences à l'université de Leeds, spécialisée en recherche sur le développement durable et en sciences sociales computationnelles, a décrit de quelle manière "l'IA génératrice d'images" pourrait "aider les gens à imaginer comment ils voient l'avenir", permettant ainsi aux citoyens de visualiser les solutions potentielles aux problèmes débattus. En Inde, cette approche a permis à des communautés marginalisées de participer à des débats politiques grâce à des représentations visuelles d'avenirs durables. Une approche similaire pourrait faciliter les initiatives de démocratie délibérative en donnant aux citoyens l'accès à des connaissances spécialisées sur un large éventail de sujets.

Mme Abigail Potter, spécialiste de l'innovation à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, a précisé comment l'IA pouvait faciliter une interaction créative entre le public et les ressources parlementaires, citant en exemple Citizen DJ, projet innovant dans lequel des archives sonores sont remixées. M. Williamson a souligné qu'il était essentiel de considérer l'IA "comme un outil permettant d'améliorer les interactions humaines" plutôt que comme une solution technique.

Mme Cristina Leston-Bandeira, Présidente de l'IPEN et modératrice du webinaire, a remarqué que l'IA pouvait assurer des tâches de synthèse, par exemple pour résumer de gros volumes de contributions des citoyens, pour traduire des questions complexes dans des formats plus accessibles et, de manière plus créative, pour générer de nouvelles idées.

Toutefois, d'importantes problématiques ont été soulevées en ce qui concerne la confiance, la transparence et l'inclusion. M. Franklin De Vrieze, responsable de la pratique (redevabilité) à la Westminster Foundation for Democracy, a précisé que les parlements étaient souvent en retard par rapport aux pouvoirs exécutifs en matière d'adoption de l'IA, ce qui risquait d'aggraver les déséquilibres entre les pouvoirs. Il a souligné que la mise en œuvre de l'IA devait être "transparente et ouverte" afin de renforcer la confiance plutôt que de l'éroder.

Des inquiétudes ont également été exprimées quant à la consommation en ressources des systèmes d'IA, que Mme Spaiser a décrits comme "extrêmement énergivores et exigeants en ressources". Elle a proposé de s'interroger sur la nécessité d'utiliser cette technologie et sur le fait de savoir si elle représentait un "véritable atout".

La qualité et l'authenticité des données sont apparues comme des aspects essentiels. Mme Potter a souligné les travaux en cours sur les normes ISO, grâce auxquelles on pouvait "identifier au niveau du bit ce qui a été amélioré par l'IA … de sorte que nous puissions toujours savoir quelle est notre version et quelle est la version exacte". M. Williamson a indiqué que des données de bonne qualité constituaient un point de départ essentiel pour l'IA.

La voie à suivre exige une réflexion approfondie sur la gouvernance et l'évaluation. Mme Attia a insisté sur le fait que les parlements devaient "mesurer ce que l'IA apporte au processus et disposer d'indicateurs en la matière", tout en assurant un suivi des succès comme des échecs. Il s'agit notamment d'être conscient des risques, tels que la perte potentielle de ce qu'elle a appelé "l'opinion collective, l'opinion des citoyens", en raison d'une dépendance trop importante à une participation par la médiation de l'IA.

Le message du webinaire était clair : l'IA offre un potentiel important pour transformer les interactions entre les parlements et les citoyens, mais le succès repose sur une mise en œuvre prudente dans le cadre de stratégies de participation plus larges ainsi que sur des cadres de gouvernance clairs et un engagement à conserver une surveillance humaine sur les processus démocratiques. L'objectif n'est pas de remplacer les interactions humaines, mais de les améliorer, en rendant la participation des citoyens plus accessible, utile et inclusive.

 

Voir aussi :