Par John Oldfield
La Déclaration universelle des droits de l’homme, proclamée par les Nations Unies en 1948, aspire à "un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère".
C’est cette vision d’un monde libéré de la terreur et de la misère qui inspire mes travaux et me pousse à œuvrer auprès des parlements du monde entier pour promouvoir la sécurité de l’eau. Il est déchirant de mettre en regard cette vision de 1948 avec les conditions de dénuement et d’angoisse dans lesquelles vivent des centaines de millions de personnes en Afrique, en Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient et même aux États-Unis, aujourd’hui en 2024.
La sécurité hydrique est essentielle à d’innombrables égards, tels que la santé publique mondiale, la sécurité alimentaire, la résilience climatique, l’éducation, l’égalité des sexes et la productivité économique. L’eau est présente dans tous les aspects de la vie. Rien ne saurait remplacer l’accès à l’eau potable : ce n’est pas un bien fongible. En 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a enfin reconnu que le droit à l’eau potable était un droit humain essentiel, de plus en de plus inscrit dans la constitution des États. Pourtant, des millions de personnes en sont privées.
Partout dans le monde, les ministres des ressources en eau sont souvent invités à prendre la parole dans des réunions de haut niveau, où ils se montrent déterminés à accélérer les progrès au sein de leur pays et auprès de leurs communautés. Or ces ministres sont souvent pieds et poings liés par des lois laxistes, des réglementations inefficaces et mal appliquées et des budgets inadaptés, en particulier s’agissant des communautés les plus marginalisées, notamment les femmes pauvres vivant en milieu rural.
Il incombe aux élus de faire appliquer le droit fondamental à l’eau potable dans chaque pays. Ces élus – au parlement, au gouvernement et dans les instances locales – sont chargés d’élaborer et d’adopter les lois et les budgets indispensables pour assurer plus rapidement la sécurité hydrique. Pour reprendre le langage des droits de l’homme, ils sont responsables de prendre des "mesures progressives" en vue de mettre en œuvre le droit essentiel à la sécurité de l’eau. Pourtant, ces législateurs ne semblent pas beaucoup intéresser les acteurs du secteur – ils sont rarement invités à des réunions thématiques et très peu consultés par les groupes de défense de l’accès à l’eau. Cette situation prévaut dans tous les pays, toutes les provinces et toutes les localités.
Les membres du parlement de huit pays africains se sont réunis récemment pour discuter de ces défis et des efforts supplémentaires qu’ils peuvent déployer en tant que hauts responsables élus pour accélérer les progrès en matière de sécurité de l’eau dans leur pays respectif et sur tout le continent. Pour ces parlementaires et pour leurs pairs de nombreux pays, la voie à suivre est l’instauration de groupes parlementaires sur l’eau au sein de leur organe législatif respectif. L’utilité des groupes parlementaires – également appelé forum ou caucus parlementaire, ou encore réseau ou groupe d’action – n’est plus à démontrer. Les membres d’un groupe parlementaire tentent de rallier des soutiens de tous les partis au sein du parlement en exhortant leurs collègues parlementaires à accorder la priorité à des lois et des budgets souvent axés sur les communautés et les ménages les plus vulnérables. Des groupes parlementaires sur des questions telles que l’égalité des sexes, le climat et la santé existent déjà dans de nombreux parlements, mais la solution sous-jacente à toutes ces problématiques est l’accès durable à l’eau potable.
Au début de 2023, pendant la Conférence des Nations Unies sur l’eau, l’Union interparlementaire (UIP) a organisé une réunion de parlementaires du Mexique, d’Ouganda, du Soudan du Sud et du Tchad. L’établissement de groupes parlementaires sur l’eau dans chaque pays a été clairement justifié : le pouvoir législatif élabore et vote des lois et adopte des budgets qui renforcent la sécurité hydrique dans chaque circonscription . L’ancien législateur américain Tip O’Neill avait déclaré que "la politique est toujours locale". Il en va de même pour l’eau. Les législateurs de chaque pays représentent les citoyens. Or les citoyens sont les plus au fait des problèmes que rencontrent les communautés et des solutions viables sur les plans technique, financier, environnemental et socioculturel.
Bien que la planète soit confrontée au "défi mondial de l’eau", il n’existe aucune solution mondiale pour y répondre. Certains pays possèdent trop de ressources en eau, d’autres en possèdent trop peu, et d’autres encore subissent les deux situations à des moments différents de l’année ou dans des zones géographiques différentes. Une partie des ressources en eau est contaminée par des polluants organiques et inorganiques. Les conséquences du changement climatique, tout comme la fiabilité des infrastructures, pèsent directement sur la quantité et la qualité de l’eau. On dit que si le changement climatique était un requin, alors l’eau en serait les dents. Pour rendre les terres agricoles et les institutions essentielles, telles que les établissements de santé et les écoles, plus résilientes face au changement climatique et à ses multiples conséquences pour la sécurité hydrique, il faut des lois et des budgets plus ambitieux. Les groupes parlementaires sur l’eau peuvent réunir des experts et des acteurs de la santé, de l’éducation, du climat, de l’égalité des sexes, de l’environnement et de domaines connexes pour élaborer des solutions adaptées sur le plan législatif.
Pour relever cette multitude de défis au sein d’un même pays, les parlementaires de tous les Membres de l’UIP conseillent vivement d’établir des groupes parlementaires représentatifs de divers bords politiques et de différents comités et commissions (par exemple, la santé, les infrastructures, l’éducation et l’environnement). La composition des groupes devrait également refléter un juste équilibre entre les sexes et l’origine rurale et urbaine des membres.
Certains parlements ont déjà franchi le cap de créer un groupe parlementaire sur l’eau, notamment le Parlement ougandais avec le Forum parlementaire sur l’eau, l’assainissement et l’hygiène, présenté dans The Parliamentarian. Ce forum a contribué à faire en sorte que la législation pertinente intègre davantage la sécurité hydrique, à faire adopter de nouvelles lois, à renforcer le cadre réglementaire ougandais, à rationaliser la coordination avec la communauté internationale des donateurs et à augmenter les budgets nationaux consacrés à l’eau au fil des ans. Des groupes parlementaires prennent de l’ampleur, notamment au Burkina Faso, aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Sénégal, au Tchad, et d’autres voient le jour au Burundi, au Kenya, au Nigéria, au Pakistan, au Soudan du Sud, en Tanzanie et dans de nombreux autres pays.
Les groupes parlementaires sur l’eau ont la capacité d’appuyer les actions législatives concertées visant à accélérer les progrès en matière de sécurité de l’eau qui conditionnent la réalisation progressive du droit essentiel à l’accès à l’eau, avec l’aide d’une société civile active et d’un ministère des ressources en eau compétent et engagé. Cette approche globale, qui associe de hauts responsables élus, a tout le potentiel nécessaire pour contribuer à atteindre l’objectif d’un monde libéré de la terreur et de la misère.
À propos de l’auteur
John Oldfield est le directeur général d’Accelerate Global, établi à Washington, et l’ancien administrateur principal de Global Water 2020, un groupe de plaidoyer à but non lucratif. Il prodigue des conseils aux parlements du monde entier, notamment à de nombreux Membres de l’UIP, sur l’établissement et le renforcement des groupes parlementaires sur l’eau.